Le pape François au paragraphe 10 nous donne la raison du cette exhortation : « je voudrais rappeler par la présente exhortation, l’appel à la sainteté que le Seigneur adresse à chacun d’entre nous, cet appel qu’il t’adresse à toi aussi : « vous êtes devenus saints, car je suis saint « (P 1,16) ». En revanche, il ne justifie pas le moment de cette exhortation. Pourquoi l’a-t-il écrit à ce moment précis, dans l’année 2018 ? La réponse est sans doute toute simple. Cet appel que le Seigneur nous lance est permanent, et, quel que soit notre condition. Dès le début de la relation entre Dieu et les Hommes, Dieu appelle les Hommes à la sainteté, et cet appel ne cesse jamais d’être actualisé. En tout temps et en toute circonstance, les hommes, femmes et enfants sont appelés à se mettre sur la voie de la sainteté.
Pour répondre à cet appel, le pape François nous donne une ligne d’action, un mode opératoire.
La première chose à faire selon le pape François est de reconnaître que nous ne sommes pas seuls. Nous sommes devancés par la multitude des saints et saintes. Si eux ont réussi alors, nous en sommes capables. Cela est vrai pour plusieurs raisons. La première est que les saints qui sont auprès de Dieu nous encouragent à poursuivre le chemin et peuvent nous aider directement par l’intercession. Ces saints du Ciel gardent sans arrêt avec les hommes « les liens d’amour et de communion » (§4). On touche ici la réalité absolue de ce qu’est l’Eglise : c’est l’ensemble de tous ceux qui ont la foi en Dieu, le Père, le fils et le Saint-Esprit, qu’ils soient vivant ou déjà au Ciel. Et pour nous, ces saints portent le poids de cette mission que le Seigneur nous appelle à relever. Le pape Benoît XVI disait : « je ne dois pas porter seul ce que, en réalité, je ne pourrais jamais porter seul. La troupe des saints de Dieu me protège, me soutient et me porte ».
La seconde chose à faire selon le pape François est de ne pas croire que seuls ceux qui sont canonisés sont saints. Il existe des saints parmi nous. Cette sainteté nous rappelle le pape, se vit dans le peuple tout entier. Dieu n’offre pas le Salut individuellement, mais à chaque individu inscrit dans son peuple. Le peuple de Dieu, son Eglise, n’est pas divisé entre ceux qui ont achevé le chemin et ceux qui sont encore en train de la parcourir. La sainteté est déjà visible ici-bas. Elle se trouve dans l’amour inconditionnel des parents envers leurs enfants, dans le courage de ceux qui travaillent, rentrent fatigués chez eux et prennent le temps de jouer avec leurs enfants, chez ceux qui vivent la maladie dans leur corps, chez ceux qui quelle que soit leur vie ne cessent de sourire. Le pape François appelle cela la « sainteté de la porte d’à côté » (§7). Cette sainteté est visible, car elle est le reflet de la présence de Dieu, elle participe à la fonction prophétique du Christ » (§8). Seules la foi et la charité permettent de refléter la présence de Dieu. Notre évêque a dit dans sa conférence du 15 octobre à la cathédrale que la seule chose qui reste à la fin, c’est les saints. Or aucun saint n’a manqué de ces deux vertus : foi et charité. Autrement dit si nous voulons laisser une trace lumineuse de notre passage sur cette terre il faut que notre vie soit guidée par la foi et la charité. Ainsi nous serons en mesure de refléter la présence de Dieu à ceux qui nous entourent.
Ne soyons pas inquiets pour ces saints « de la porte d’à côté », car comme le disent à la foi Mathieu (Mt 10,26) et Luc (Lc 12,2) au jour final tout ce qui est caché sera manifesté, alors ces saints ignorés seront récompensés à la hauteur des promesses de Dieu. Il n’y a d’ailleurs qu’une seule sainteté, qui contient les saints déjà révélés et ceux qui demeurent dans le secret de Dieu, et est selon le pape François « le plus beau visage de l’Eglise ». Nous avons ici la clef pour annoncer au monde le Christ. Si tous les chrétiens vivent cette sainteté alors, ce visage que l’Eglise offre au monde sera resplendissant. Or il n’est pas possible de lutter contre la beauté.
La troisième chose à faire est de prendre conscience que le Seigneur nous appelle tous, qui que nous soyons à la sainteté. Le concile Vatican dit : Pourvus de moyens salutaires d’une telle abondance et d’une telle grandeur, tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur condition et leur état de vie, sont appelés par Dieu, chacun dans sa route, à une sainteté dont la perfection est celle même du père » (Lumen Gentium 11). Cette citation est très riche, et reprend des éléments que nous avons déjà évoqués : le croyant n’est pas seul : il a avec lui les saints du ciel et le Seigneur lui-même qui lui donne les moyens nécessaires pour atteindre son but ; il n’y a pas de vie qui ne peut atteindre la sainteté. Cette dernière proposition est d’autant plus vraie que le Christ n’attend pas que nous suivions à la trace un modèle de sainteté pour faire mécaniquement tout ce qu’il a fait dans sa vie. Cela est impossible, car chaque être et chaque vie est unique. Le Seigneur demande que nous vivions la sainteté selon notre chemin qui est « unique et spécifique » (§11). Le risque de contempler les modèles de sainteté serait de nous décourager, car cela nous semble inaccessible. C’est pourquoi l’Eglise offre une multitude de visages de sainteté. Moi qui suis séminariste, je vais peut-être avoir du mal à trouver un modèle de sainteté chez Louis et Zélie Martin (saint dans la vocation d’époux et de parents). Mais je vais sans doute trouver ce qui m’encourage chez un saint prêtre, un saint pasteur. Si je suis un jeune qui vit dans l’abondance alors, bienheureux Pier Giorgio Frassati sera sans doute un soutien sur mon parcours. Mais il n’est pas question de calquer ma vie sur la leur. « Ce qui importe est que chaque croyant discerne son propre chemin et mette en lumière le meilleur de lui-même, ce que le Seigneur a déposé de vraiment personnel en lui et qu’il ne s’épuise pas en cherchant à imiter quelque chose qui n’a pas été pensé pour lui » (§11). Le Pape François utilise le terme d’épuisement pour celui qui veut copier la vie d’un autre. Une image me vient à l’esprit. Dans une course à la voile si, un participant se dit que sa meilleure chance de l’emporter est de copier la route du favori, il va s’épuiser à suivre les moindres faits et gestes de son adversaire tout en ignorant que les conditions ne sont pas les mêmes : le bateau est différent, les vents sont en perpétuel changement… Dans tous les cas, il est assuré de perdre. Or si au contraire il prend une route différente, et qu’il met à profit ses qualités et qu’il trouve la route qui lui permet d’aller plus vite, il a alors une chance d’atteindre son but. Finalement la sainteté c’est peut-être une course à la voile, et tous ceux qui atteignent le but sont vainqueurs.
La quatrième chose à faire, nous dit le pape François, est de ne pas croire que notre vie échappe à la possibilité de la sainteté. « Nous sommes tous appelés à être des saints en vivant avec amour et en offrant un témoignage personnel dans nos occupations quotidiennes » (§14). Ici, on rejoint le paragraphe précédent. Il faut être saint là où nous sommes : homme ou femme, adulte ou jeune, marié ou célibataire, consacré ou consacrée… il faut chercher à être saint en tout ce que nous faisons. Nous le verrons dans le chapitre quatre, il n’existe pas un seul moment, lieux de notre vie où nous ne pouvons exercer notre sainteté.
Cette sainteté dans tout ce que nous faisons peut paraître parfois difficile à atteindre. Peut-être ne voyons-nous pas la manière de faire, ou nous sommes fatigués. Peut-être sommes-nous tentés de nous cacher derrière nos fragilités. Le pape François nous donne alors la consigne de nous remettre à l’Esprit Saint et de regarder vers le Christ. L’Esprit Saint est appelé par Jésus lui-même le Paraclet : « Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai" (Jn 15,26). Il est donc pour nous une barrière, un garde-fou pour nous éviter de tomber, car le Seigneur connaît notre fragilité. Il a également dit : Demandez et vous recevrez (on vous donnera selon les versions). Ce simple fait que Dieu ne nous laisse pas seuls sur notre chemin doit nous « enthousiasmer et nous encourager » (§13), car cela signifie que quand nous décidons d’avancer sur ce chemin avec Dieu, il vient à notre rencontre avant l’arrivée, pour cheminer avec nous.
Je me rappelle une belle histoire (assez connue) que j’ai lue chez une amie :
Une nuit, j’ai eu un songe.
J’ai rêvé que je marchais le long d’une plage, en compagnie du Seigneur.
Dans le ciel apparaissaient, les unes après les autres, toutes les scènes de ma vie.
J’ai regardé en arrière et j’ai vu qu’à chaque scène de ma vie, il y avait deux paires de traces sur le sable : l’une était la mienne, l’autre était celle du Seigneur.
Ainsi nous continuions à marcher, jusqu’à ce que tous les jours de ma vie aient défilé devant moi.
Alors je me suis arrêté et j’ai regardé en arrière. J’ai remarqué qu’en certains endroits, il n’y avait qu’une seule paire d’empreintes, et cela correspondait exactement aux jours les plus difficiles de ma vie, les jours de plus grande angoisse, de plus grande peur et aussi de plus grande douleur.
J’ai donc interrogé : « Seigneur… tu m’as dit que tu étais avec moi tous les jours de ma vie et j’ai accepté de vivre avec Toi. Mais j’ai remarqué que dans les pires moments de ma vie, il n’y avait qu’une seule trace de pas.
Je ne peux pas comprendre que tu m’aies laissé seul aux moments où j’avais le plus besoin de Toi. »
Et le Seigneur répondit : « Mon fils, tu m’es tellement précieux ! Je t’aime ! Je ne t’aurais jamais abandonné, pas même une seule minute !
Les jours où tu n’as vu qu’une seule trace de pas sur le sable, ces jours d’épreuves et de souffrances, eh bien : c’était moi qui te portais. »
Le pape rappelle que la sainteté n’est pas réservée à un groupe de personnes et en exclut un autre. « Nous sommes tous appelés à être saint en vivant avec amour et en offrant témoignage personnel dans nos occupations quotidiennes, là où chacun se trouve » (§14). Comme on l’a dit précédemment, on peut être saint dans l’éducation des enfants, dans le célibat des consacrés, dans la vie professionnelle, dans la pratique du sport, dans les malheurs, dans les joies… Il n’y a pas d’endroit où la sainteté n’a pas sa place. C’est même le contraire, si l’on pense que la sainteté n’a pas sa place, c’est qu’elle est d’autant plus nécessaire. Chose importante il ne faut jamais se mettre la barre trop haut dès le début, c’est le meilleur moyen d’échouer et d’abandonner. « Cette sainteté à laquelle le Seigneur appelle grandira par de petits gestes » (§16) il faut commencer petit pour grandir. Je me souviens dans une de mes lectures (peut-être Tactique du diable de C.S. Lewis) que le malin préconise à ses subordonnés de tenter les hommes sur de petites choses, de petits péchés de peur qu’ils se rendent compte de leurs actes et s’en détournent. Ce principe de commencer petit est le meilleur moyen (tant pour les chrétiens que pour le démon) de s’assurer une réussite dans le chemin voulu. En commençant par de petits gestes de sainteté, non seulement nous garantissons notre propre réussite, mais nous nous offrons une marge de progression croissante. Le pape résume tout cela très bien : « Ainsi, sous l’impulsion de la grâce divine, par de nombreux gestes, nous construisons ce modèle de sainteté que Dieu a voulu » (§18). Il est plus facile de multiplier les petits gestes de sainteté que les gros, ce qui à chaque foi nous permet d’avancer par de nombreux petits pas sur le chemin de sainteté. Or toute personne avançant sur ce chemin n’est pas seule, mais aidée par Dieu par le soutien du Saint Esprit et le don de grâces diverses. Le Christ par son incarnation nous a montré ce chemin, alors même qu’il était saint. Chacun de ses gestes de pardon, de guérison, d’aumône et même ses miracles sont orientés non pour lui-même, mais pour rendre gloire à Dieu dans le service et la charité envers les plus petits. Poser un acte de sainteté pour soi-même n’est pas la bonne méthode pour arriver au terme du voyage. Il faut se sortir de l’équation, se décentrer pour que le geste posé soit posé pour l’autre et pour Dieu. « La sainteté consiste à vivre les mystères de sa vie à partir du Christ. Elle consiste à s’associer à la mort et à la résurrection du seigneur d’une manière unique et personnelle, à mourir et ressusciter constamment avec lui » (§20). Ce que dit le pape dans cette phrase est l’explication de ce qui est dit avant. Mourir avec le Christ, consiste en un geste de sainteté de s’ignorer soi-même au profit de celui que l’on sert et de Dieu. Or Dieu profondément sensible à notre vie reconnaît dans ce geste le sacrifice posé par le chrétien et lui offre de goûter à la joie béatifique (joie de ceux qui voient Dieu), Il redonne au chrétien qui s’oublie dans la sainteté la vie en communiquant un avant-goût de la joie que nous sommes tous appelés à vivre dans l’éternité. C’est cela notre mission de chrétien, vivre la sainteté en vivant notre vie dans le Christ.
Pour conclure cette première partie, nous allons soulever deux points que le pape François évoque : notre mission de chrétien doit se vivre dans le Christ et l’activité qui sanctifie...
« Pour un chrétien, il n’est pas possible de penser sa propre mission sur terre sans la concevoir comme un chemin de sainteté, car « voici quelle est la volonté de Dieu : C’est votre sanctification » (1Th 4,3) » (§19). « Le dessein du Père c’est le Christ, et nous en Lui. En dernière analyse, c’est le Christ aimant en nous, car la sainteté n’est rien d’autre que la charité pleinement vécue » (§21). Dieu nous a donné la vie pour que nous marchions sur le chemin de sainteté qu’il a pensé pour nous. Mais cela ne nous est pas imposé. N’oublions pas que dans son amour il nous laisse libres. Le chrétien doit trouver ce chemin qui mène à la sainteté et il doit volontairement l’emprunter. Dieu veut quelque chose, il veut le meilleur pour nous, mais c’est à nous de choisir ce qu’il veut pour nous. Cette route que nous devons prendre, le chemin de la sainteté, nous dit le pape, passe par le Christ. Ou plutôt nous devons mettre le Christ en nous. Car le Christ ayant déjà achevé le chemin de la parfaite sainteté peut à travers nous agir pour nous. Dans notre vie que nous orientons vers la sainteté, nous devons sans cesse puiser au puits qui ne se tarit jamais.
Le deuxième point de cette conclusion est l’activité qui sanctifie. « Ton identification avec le Christ et avec ses désirs implique l’engagement à construire, avec lui, ce Royaume d’amour, de justice et de paix pour tout le monde. » (§26) Le royaume dont le Christ nous parle dans les évangiles est ce à quoi nous devons participer. Et nous y participons à condition que tous nos engagements soient vécus avec un sens évangélique. Nous devons mener notre vie dans la cohérence avec le message évangélique. C’est un défi que de mettre au cœur de notre vi, de tous nos engagements civils, professionnels, familiaux, associatifs, communautaires la présence du Christ à travers nous. Cela est le moteur de notre sainteté. Le pape François parle de spiritualité. La spiritualité c’est la recherche de la présence du Christ dans notre vie. Or il n’y a pas de lieu où le Christ n’a pas sa place. C’est à nous de trouver comment le laisser agir à travers nous, partout où nous allons.
Je vais finir sur une dernière remarque que soulève le pape François. Il ne faut pas avoir peur de la sainteté. Elle n’est pas emprisonnante, elle n’ôte pas la liberté, la joie ou d’autres sentiments humains. Au contraire, elle les multiplie. Dieu ne veut pas pour nous autre chose que la meilleure vie. Et pour l’atteindre, la sainteté en est le meilleur moyen. « N’aie pas peur de viser plus haut, de te laisser aimer et libérer par Dieu. La sainteté ne te rend pas moins humain, car c’est la rencontre de ta faiblesse avec la force e la Grâce » (§34).
Très bonne entrée dans l’Avent à chacun d’entre vous.